La caricature : un dérapage contrôlé est le thème d’une rencontre animée lundi à Oran l’initiative du CCF par Plantu, dessinateur au quotidien français le Monde (40 ans d’expérience) et Dilem, caricaturiste à Liberté.
Le premier a initié en 2006 au siège des Nations unies à New York, avec Kofi Annan, alors secrétaire général de cette institution, «Cartooning for peace» (dessiner pour la paix), une exposition regroupant des dessinateurs de plusieurs pays. Le mouvement né de cette rencontre poursuit aujourd’hui sa mission qui consiste à participer et à rapprocher les peuples et les civilisations. Les adhérents à ce mouvement ont la particularité d’avoir un regard critique sur leurs propres pays ou cultures avant de parodier celles des autres, ce qui leur confère une crédibilité. Comme il l’a déjà exprimé à plusieurs occasions (telle l’émission «Ateliers des médias» de Radio France International), Plantu, connu pour ses engagements et sa liberté de ton, pense néanmoins qu’il y a des limites à ne pas franchir, non pas par soumission aux pressions des puissants mais par respect pour le public.
«Je veux être dérangeant mais pas humiliant envers les croyants», explique-t-il au sujet des caricatures danoises (exemple donné à titre illustratif) représentant le prophète Mohamed et qui avaient soulevé un vent de protestations dans plusieurs pays musulmans. «A partir du moment où les gens le vivent comme un blasphème, je ne vois pas l’intérêt de le faire», estime-t-il en ayant à l’esprit qu’avec le dessin, il y a toujours un moyen de contourner les interdits. Plantu a eu la même retenue lors de l’attaque des Tours jumelles du World Trade Center, mais il ne s’est pas gêné, quinze jours plus tard, de parodier la politique américaine et les conséquences de l’instrumentalisation de la mouvance islamiste lors de la guerre froide qui a fini par se retourner contre elle. Ses caricatures militent par ailleurs pour la paix au Moyen-Orient mais n’épargne pas les injustices commises contre les Palestiniens par l’Etat d’Israël. Les extrémismes religieux sont néanmoins dénoncés de part et d’autre.
«Il n’y a pas de 50/50 dans mon travail car j’ai une subjectivité qui ressort et une opinion politique à défendre», a-t-il indiqué. Exerçant dans un pays ayant une tradition démocratique effective, il évoquera cependant certaines pressions légères qui n’ont rien à voir avec les procès intentés à Dilem. Ce dernier qui n’est pas à présenter pour le public algérien est intervenu pour raconter sa propre expérience entamée avec le quotidien Alger Républicain qui a reparu en 1989, au lendemain des événements d’octobre 1988 qui ont permis une ouverture des médias (réelle au début mais relativisée par la suite). «La caricature d’un président algérien en exercice, inconcevable auparavant, a été publiée pour la première fois par Alger Républicain et cela a crée un certain événement à l’époque», rappelle-t-il.
Par la suite, les icônes parodiant les Présidents et les figures du pouvoir sont monnaie courante chez lui et ont largement contribué à asseoir sa renommée en plus de ses positions anti intégristes islamistes. «C’est tout ce qui nous reste des acquis d’octobre», déplore-t-il en relativisant la portée des dessins de presse car, pour lui, «ce qui est ‘‘dangereux’’, ce n’est pas l’opinion mais plutôt l’information.» A défaut, comme c’est le cas pour les caricatures exécutées sur place ou exposées, cette rencontre s’est déroulée dans une ambiance pleine d’humour, un vrai moment d’évasion.
Par Djamel Benachour - El Watan. Le 9 Mars 2011.